Présent au Festival de Cannes pour l’avant-première d’un nouveau documentaire qui lui est consacré, Julian Assange a saisi l’occasion pour adresser un message d’une urgence extrême : Israël doit être stoppé dans son action génocidaire à Gaza. La libération du fondateur de WikiLeaks il y a bientôt un an n’a pas fait cesser la campagne de dénigrement à son encontre. En France, celle-ci irradie notamment depuis l’AFP. L’agence de presse fait l’objet d’une demande de saisine du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) pour sa dépêche consacrée à la venue du journaliste australien sur la Croisette.
Ce fut une très bonne surprise. Un documentaire sur l’affaire Assange dans la sélection officielle du Festival de Cannes, on ne s’y attendait pas. Réalisé par le cinéaste états-unien Eugene Jarecki, The Six Billion Dollar Man (L’Homme qui valait six milliards) a été projeté en séance spéciale le 21 mai, en présence de Julian et Stella Assange. Le couple a tenu à utiliser le moment de visibilité pour alerter sur le génocide à Gaza.
La veille, lors du « photocall » (séance photo) avec l’équipe du film, le fondateur de WikiLeaks portait un t-shirt sur lequel était inscrit le nom de 4986 enfants de cinq ans et moins tués à Gaza par Israël depuis le 7 octobre 2023. Au dos du t-shirt, figurait un appel urgent : « STOP ISRAEL ».
Et pour la montée des marches, Stella Assange arborait une photo de leur amie la styliste Vivienne Westwood (décédée en 2022) portant un écriteau « STOP KILLING ». Deux messages, une seule demande : mettez fin à la violence immédiatement. Une tribune allant dans le même sens, à l’initiative du collectif Artists for Palestine, avait été publiée lors de l’ouverture du festival, elle compte aujourd’hui plus de 900 signatures de personnes issues du monde du cinéma.
Le texte rendait compte du sort de la photojournaliste palestinienne Fatma Hassona (25 ans), tuée par l’armée israélienne avec dix de ses proches le 16 avril. Elle avait appris la veille que le documentaire dont elle est la protagoniste principale, Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, était retenu dans la sélection de l’Acid, une section parallèle du Festival de Cannes.
Lors de sa venue à Strasbourg début octobre 2024 pour être auditionné par la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Julian Assange avait mentionné à plusieurs reprises le sort des journalistes palestiniens. Selon le site StopMurderingJournalists.com, Israël a tué 279 journalistes depuis le 7 octobre 2023, dont 267 à Gaza (décompte au 5 juin 2025).
L’équipe de The Six Billion Dollar Man a monté les marches en compagnie de Rafael Correa, l’ex-président de l’Équateur qui avait accordé l’asile politique au fondateur de WikiLeaks en 2012 dans l’enceinte de l’ambassade de Quito à Londres. Les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois le 2 octobre 2024 dans les locaux du Conseil de l’Europe.
Julian Assange n’a pas donné d’interview mais sa femme a fait savoir qu’il avait bien récupéré physiquement et mentalement (voir la courte vidéo). Il a beaucoup chéri ses retrouvailles avec la nature australienne, les grands espaces. Très préoccupé par la situation du monde, il réfléchit à la façon de s’impliquer de nouveau.
The Six Billion Dollar Man a reçu deux prix lors du festival :
- le premier Golden Globe du documentaire, un nouveau prix créé par les Golden Globe Awards et la Artemis Rising Foundation ;
- le prix spécial du jury de L’Œil d’or a été remis à Eugene Jarecki, il s’agit d’un prix du documentaire créé en 2015 par la Société civile des auteurs multimédia (Scam) en partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (Ina).
Lors de la remise de ce second prix, Julian Assange a pris brièvement la parole (voir la vidéo).
Pour la « petite histoire », la présidente du jury de L’Œil d’or était cette année… Julie Gayet (lire la brève de Blast). Son désormais mari, François Hollande, alors président, avait écarté sèchement l’idée d’accorder l’asile politique à Julian Assange en 2015 (voir l’article « Comment Hollande et Macron ont snobé Julian Assange » d’Off Investigation). Sept ans plus tard, acculé par la journaliste du Monde diplomatique Anne-Cécile Robert lors d’une conférence dans laquelle ils partageaient la tribune, l’actuel député Nouveau Front populaire de Corrèze justifiera cette décision en affirmant que le fondateur de WikiLeaks était « un voleur ». Pour une clé de compréhension quant à l’hostilité de François Hollande à l’égard de Julian Assange, lire l’article « Révélations Blast/WikiLeaks : Quand le PS permettait l’ingérence américaine dans le référendum européen de 2005 ».
La présence de Julian Assange à Cannes et la programmation d’un documentaire à son sujet ont suscité une assez modeste couverture médiatique. Malheureusement l’AFP a de nouveau relayé des calomnies au sujet de WikiLeaks et de son fondateur (ce fut déjà le cas le 26 avril lorsque Julian Assange était venu à Rome pour assister aux funérailles du pape François, qui lui avait apporté son soutien alors qu’il était persécuté). Dans une dépêche notamment reprise par Franceinfo et Europe 1, l’agence de presse écrit :
« Jarecki ne s’attarde pas sur les zones d’ombre de son protagoniste, notamment lorsqu’il a mis des vies en danger en publiant des câbles diplomatiques américains non caviardés, avec les noms d’informateurs, y compris des militants des droits humains.
Le réalisateur rejette également tout lien entre Wikileaks et les services secrets russes au sujet de la fuite des e-mails du parti démocrate juste avant la présidentielle américaine de 2016, qui a débouché sur la défaite d’Hillary Clinton face à Donald Trump.
Le procureur spécial Robert Mueller, qui a enquêté sur l’ingérence russe dans cette élection, a découvert des preuves indiquant que les renseignements militaires russes avaient piraté le Parti démocrate pour ensuite transférer les informations à Wikileaks. »
Ces trois phrases contiennent quatre affirmations fausses ou sans preuve à propos de WikiLeaks :
- les publications ont mis des vies en danger ;
- l’organisation est à l’origine de la dissémination des câbles diplomatiques non caviardés ;
- elle a eu des liens avec les services secrets russes ;
- elle a reçu les courriels concernant Hillary Clinton et le DNC de hackers russes.
Ces assertions qui sont au cœur de la campagne de dénigrement contre le journaliste australien sont réfutées, sources à l’appui, dans l’article du Monde diplomatique « Les médias contre Julian Assange » (août 2024). Nous avons demandé à l’AFP via notre compte X (ici et là par exemple) de s’expliquer sur ces calomnies et d’envisager des errata. L’agence n’a pas davantage réagi que lorsqu’Olivier Azam des Mutins de Pangée l’avait interpelée en pointant les perfidies contenues dans une précédente dépêche.
Le 26 mai, Laurent Dauré a fait une demande de saisine du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) à propos de la dépêche sur Assange à Cannes. Nous vous tiendrons informés des suites de cette démarche.
Fabien Rives du site Off Investigation a contacté l’AFP pour la questionner sur les éléments problématiques du texte, l’agence lui a répondu et en a modifié un passage, reconnaissant « une formulation inexacte ». Dans sa nouvelle version, la dépêche n’affirme plus que Julian Assange a mis des vies en danger, l’allégation est attribuée à « certains outre-Atlantique ». Pour son article « Affaire Assange : l’AFP et France 24 sous influence », Off Investigation a recueilli le commentaire de Laurent Dauré à propos de cette tournure :
« Le procédé qui consiste à rapporter des incriminations sans examiner leur validité n’est pas acceptable déontologiquement. Or, c’est quasiment systématique lorsque la presse traite de l’affaire Assange. Elle répand ainsi des calomnies sans tout à fait les assumer.
Si des détracteurs disent que WikiLeaks 1) a mis des vies en danger par ses publications, 2) est à l’origine de la dissémination des télégrammes diplomatiques non expurgés, 3) a reçu de pirates informatiques russes les courriels compromettants concernant Hillary Clinton et l’establishment démocrate, 4) etc., les journalistes doivent investiguer pour vérifier la solidité de ces accusations et rendre compte des faits. Ils découvriront assez rapidement qu’elles sont fausses ou dénuées de preuve.
Relayer la campagne de dénigrement des persécuteurs étatiques de Julian Assange est d’une extrême gravité intellectuelle et morale. Cela dit, les médias dominants ont réussi à faire encore pire en accordant du crédit à la propagande israélienne, facilitant ainsi le génocide à Gaza. »
Il est à craindre que les mêmes fausses informations hostiles ressurgissent au moment de la sortie en salle de The Six Billion Dollar Man. C’est pourquoi nous vous encourageons à systématiquement écrire aux médias (sur les réseaux sociaux, par courriel, etc.) pour demander la correction de ces « erreurs ». Le film de Eugene Jarecki bénéficie d’un distributeur français, nous sommes évidemment impatients de le découvrir sur grand écran, avec l’espoir de pouvoir l’accompagner par des débats, comme nous l’avions fait à travers toute la France avec les documentaires Hacking Justice et Ithaka, grâce à nos complices des Mutins de Pangée. À suivre donc…